Cette douceur hivernale a eu un impact non négligeable sur les gazons qui redémarrent leur croissance plus tôt. Les aérations avec extraction un peu trop précoces seront par conséquent moins impactantes avec une reprise plus rapide du jeu.
Si ce n’est pas déjà fait, c’est le temps de définir et planifier un minimum la fertilisation de cette nouvelle saison.
C’est peut-être le moment d’utiliser de nouvelles méthodes de gestion de la fertilisation avec la fertilisation de précision.
Connaître la spécificité climatique de son site pour ajuster la fertilisation
Alors que la plupart du temps, le plan de fertilisation est basé sur une certaine expérience du site ou sur les conseils des distributeurs d’engrais, il est possible de rationaliser objectivement les quantités appliquées suivant la spécificité de chaque site.
Aujourd’hui, les systèmes de station météorologiques connectées sont de plus en plus courants. Ils permettent d’extraire les quelques paramètres nécessaires pour notre utilisation. Si aucune station n’est installée sur le golf, divers sites web permettent de revenir sur l’historique de la station météo la plus proche du golf (par exemple infoclimat).
Pour ajuster sa fertilisation, seuls quelques paramètres sont nécessaires :
- La température moyenne mensuelle (°C). Elle est égale à la moyenne des températures journalières moyennes pour chaque mois. La température journalière moyenne quant à elle peut simplement être la somme des températures maximales et minimales divisée par 2.
- Les données de radiations solaires (W/m²) sont un plus : elles renseignent sur la quantité d’ensoleillement pour chaque jour. La quantité de lumière photosynthétique (PPFD ou DLI en mol/m²/j) représente la donnée optimale mais elle a le défaut de n’être pas souvent mesurée sur les modèles courants de stations météo ou sur les sites spécialisés.
Le principe général est simple et repose sur quelques postulats :
- La croissance du gazon est proportionnelle à la quantité de lumière reçue et limitée par la température.
- Dans des conditions de température et de lumière optimales, l’azote est le facteur limitant de la croissance(5).
- La quantité d’azote à appliquer est donc proportionnelle à la croissance.
- Les quantités d’éléments secondaires (phosphore, potassium, magnésium, oligo-éléments) sont prélevées par le gazon dans les quasi-même proportions et dépendent donc de la quantité d’azote appliquée. (5)
- Le sol contient la plupart des éléments secondaires mais contient peu d’azote par rapport aux besoins du gazon. Des référentiels existent désormais pour les seuils en-dessous desquels il ne faut pas descendre pour la plupart des éléments nutritifs (MLSN adapté avec les méthodes d’analyses français avec le NMND)
- L’excellente vidéo de Micah Woods et Lary Stowell résume très bien ce raisonnement (en anglais).
Figure 2 : Evolution de la croissance potentielle en fonction de la quantité de lumière photo-assimilable et de la température au fil des saisons. Figure : R. GIRAUD. Adapté de Ericsson et al.(6) – Figure 1 – « Precision Fertilisation – from theory to practice » – Licence : STERF, tous droits réservés ©
Méthode pas-à-pas :
Ainsi, la méthode consiste à étaler les quantités d’azote en fonction de la croissance qui dépend elle-même majoritairement de la température. Pas à pas :
1. Mesurer ou récolter les températures moyennes mensuelles sur le golf
2. Utiliser un modèle simple de croissance qui estime un paramètre de « croissance potentielle » variant entre 0 et 100%. Ce dernier dépend de la température moyenne de l’air avec un optimal choisi à 20°C pour les gazons de saison froide (0% le gazon ne pousse pas, 100% le gazon est à sa croissance maximale atteinte à 20°C).
3. Ajuster la quantité d’azote mensuelle en fonction de cette croissance potentielle et de l’expérience que l’on a sur le parcours (entre 20 et 35 kg N/ha/mois si les conditions de températures sont optimales pour une agrostide stolonifère).
4. Estimer les quantités à apporter pour les autres éléments nutritifs en fonction de la quantité d’azote. En suivant les ratios moyens N:P:K=8:1:4 : pour 8 kg d’azote, le gazon consomme 1 kg de phosphore et 4 kg de potassium5. Au mieux : utiliser des analyses foliaires pour ajuster.
5. Eventuellement ajuster les quantités à appliquer suivant les concentrations dans le sol par rapport aux seuils MLSN ou NMND. 1 à 2 analyses de terres sont nécessaires par an pour évaluer les concentrations sur le parcours (pas de mélange de préférence et toujours les mêmes greens, représentatifs des conditions du parcours). Pour en savoir plus sur ces seuils, l’article suivant permet d’aller un peu plus loin.
Un simple tableur Excel permet de réaliser l’ensemble des calculs. La figure ci-dessous illustre la méthode avec 2 villes en France (Evian et Biarritz) en prenant une quantité maximale d’azote à apporter de 25 kg N/ha/mois si les conditions sont optimales. On remarquera que les besoins sont plus faibles à Evian puisque la période de températures optimales est plus courte qu’à Biarritz.
Cette méthode relativement simple permet d’ajuster objectivement les quantités apportées en fonction de la croissance du gazon et tente de s’adapter aux spécificités du site. Elle est parfaitement adaptée aux fertilisations de type « spoon feeding » (fertilisations foliaires régulières).
Elle tente de limiter au maximum les pertes d’éléments nutritifs dans l’environnement en s’ajustant à la croissance du gazon et en utilisant au maximum les éléments déjà présents dans le sol. Il est en effet assez fréquent de voir des excès de fertilisation qui ne seront pas utilisés par le gazon à des périodes où la demande est plus faible.
Figure 3 : Températures moyennes et estimations des besoins en azote pour deux villes : Biarritz et Evian. Le besoin annuel en azote est évidemment plus élevé à Biarritz où la période de températures optimales est plus longue. Figure : R. GIRAUD.
Evidemment, la méthode estime les besoins « potentiels » du gazon c’est-à-dire qu’elle exploite les capacités de croissance du gazon à l’optimal. Son but n’est pas d’obtenir une précision parfaite. Elle donne simplement un indicateur à l’intendant qui peut alors choisir de limiter ou forcer la croissance lorsqu’il le souhaite.
En été par exemple, il pourra minimiser le risque sanitaire en limitant la croissance avec des quantités d’azote appliquées inférieures à celles estimées par le modèle. Au printemps, il peut choisir de forcer la croissance après une aération afin d’accélérer la reprise en augmentant les quantités appliquées par rapport à celles estimées.
Ce modèle permet une approche relativement réaliste de la croissance dans la mesure où les données sont mensuelles. Il est moins raisonnable de l’utiliser sur des périodes plus courtes car la croissance du gazon dépend de facteurs dont l’impact et la durée se voient sur des temps assez longs (en semaines).
Enfin, la méthode la plus précise consiste à mesurer les volumes de tonte à chaque tonte sur plusieurs greens (toujours les mêmes) afin d’estimer plus précisément les besoins du gazon. La mesure donne une idée de la croissance (ce que le gazon est en train de consommer) alors que les prévisions météorologiques permettent d’anticiper les besoins futurs en éléments fertilisants.
Figure 4 : Mesure de la croissance par les volumes de tonte : un simple récipient gradué permet de faire la mesure. Ici sur un stade composé de raygrass anglais. Photographie : R. GIRAUD.
J’ai moi-même amélioré ce modèle de croissance en y intégrant la mesure des radiations solaires. Cette modification permet de gagner en précision et d’anticiper les fertilisations à 14 jours.
A mon sens, cette méthodologie rentre parfaitement dans le cadre de la fertilisation de précision qui devient indispensable, vu les restrictions de produits phytosanitaires et les contraintes environnementales nécessaires mais toujours plus fortes. Elle permet de justifier ses choix objectivement et de revoir certaines pratiques plutôt basées sur des croyances que sur la réalité.
Rien n’oblige enfin l’intendant de tout changer du jour au lendemain. La méthode peut en effet être mise en place progressivement.